Monday, November 28, 2005

Le prospectiviste américain Howard Rheingold observe les effets politiques, sociaux et économiques des technologies émergentes.

On peut le supposer. La plupart des gens disposeront d'appareils nomades — entre le téléphone mobile actuel et l'ordinateur — capables de se connecter à Internet. Actuellement, environ 2 milliards de téléphones mobiles sont en service. Près de 600 millions d'unités supplémentaires sont prévues en 2006. Ce qui représente, au total, plus du tiers de la population mondiale.
OAS_AD('Middle');

CHIFFRES
En 2004, 1,751 milliard de personnes avaient un téléphone mobile dans le monde contre 740 millions en 2000.
Dans les 63 pays les plus pauvres de la planète (dont le PIB par habitant est
inférieur à 735 dollars), le nombre d'abonnés au téléphone mobile était de 128 millions en 2004. Ce chiffre a augmenté de 79,9 % par an depuis 2000.
Source : Union internationale des télécommunications (UIT).
À lire : Foules intelligentes, Howard Rheingold, M2 Editions, 300 p., 2005, 20 €.
[-] fermer
Le téléphone portable est moins cher que l'ordinateur et accessible à un plus grand nombre, notamment dans les pays émergents. Comparée au télégraphe au XIXe siècle ou au téléphone au XXe, jamais une technologie ne s'est répandue aussi rapidement.
La puissance de ces appareils sera immense. Déjà, les PDA (Personal Digital Assistant, ou assistant personnel numérique, comme Palm ou BlackBerry) sont 10 000 fois plus puissants que les premiers Macintosh, apparus dans les années 1980, pour un prix cinq fois inférieur. Imaginez les actions collectives, politiques, économiques et sociales que pourront mener, dans un proche avenir, plusieurs milliards d'individus connectés grâce à des appareils mobiles plus puissants que nos ordinateurs actuels.
Vous liez nouvelles technologies et pouvoir accru des individus. A Pékin, en mai 2005, les téléphones mobiles ont surtout servi au gouvernement chinois à tenter de contrôler la population. Un SMS a été envoyé à des milliers de citoyens pour les dissuader de se rendre à une "manifestation illégale"... Je n'ai pas une vision simpliste. Le pouvoir des Etats et des multinationales va s'accroître car les nouvelles technologies vont leur permettre de connaître plus finement nos comportements et nos croyances.
Déjà sur Internet, les entreprises surveillent nos habitudes pour nous proposer des offres commerciales en adéquation avec nos centres d'intérêt. Regardez ce que fait Google qui scanne nos courriels pour nous envoyer des propositions publicitaires ciblées. Cependant, je reste persuadé que les citoyens découvriront de nouvelles façons de se réunir et de résister.
Pourquoi un tel optimisme ?
L'apport des nouvelles technologies (informatique personnelle, Internet...) peut se lire dans les deux sens. Le gouvernement chinois a certes tenté de contrôler les populations par SMS. Mais regardez l'épidémie de SRAS (syndrome respiratoire aigu sévère). Environ 115 millions de SMS ont été échangés les trois premiers jours de son apparition. Le gouvernement chinois, très doué pour cacher ce qui se passe sur son territoire, n'a pas pu garder le silence.
Avez-vous d'autres exemples de résistance au pouvoir politique ?
Aux Philippines, en 2000, l'échange de millions de SMS a permis l'organisation des manifestations qui ont fait chuter le régime Estrada. En mars 2004, après les attentats de Madrid, c'est le même processus qui a amené les gens à se réunir spontanément pour protester contre José-Maria Aznar. Même chose aux Etats-Unis. Howard Dean a réussi en 2004 à exister dans la campagne présidentielle alors qu'il n'avait pas d'argent, n'était pas connu et n'avait pas la stature d'un candidat de premier plan... Seul atout, il était le candidat de la cyber-génération et a pu bénéficier, à ce titre, de l'intense activité de la blogosphère. Ses partisans se sont mobilisés rapidement et ont organisé des événements en ligne. Depuis quatre ans, de nombreux événements de la sorte, plus ou moins importants, ont eu lieu sur la planète, en Hongrie, en Corée du Sud, au Kenya, au Koweït...
Selon vous, les foules ayant accès aux technologies seront donc de plus en plus vertueuses...
Ne soyons pas naïfs. Dans l'avenir, tout le monde aura le pouvoir d'espionner, de surveiller son voisin. Déjà, les téléphones mobiles de nouvelle génération sont dotés de petites caméras et les séquences vidéo peuvent être publiées sur Internet... Dans dix ans, la notion de vie privée telle que nous la définissons n'existera plus.
Comment nos vies vont-elles changer ? Où que nous soyons, nous aurons des appareils mobiles qui nous connecteront en permanence avec des gens que nous ne connaissons pas, mais avec qui nous partagerons un intérêt commun. Que ce soit parce que nous nous trouvons dans le même aéroport, que nous voulons aller dans la même direction, que l'un de nous cherche à vendre un vélo que l'autre veut acheter... Les conséquences seront également économiques : si 20 personnes se retrouvent devant un magasin à vouloir acquérir le même bien, elles pourront plus facilement en négocier l'achat... Ces pratiques apparaissent déjà, rendues possibles car la technologie fait baisser considérablement le prix de la transmission de la connaissance.
Le consommateur va-t-il acquérir plus de pouvoir ? Je suis convaincu que le prix d'un billet d'avion ou d'une nuit d'hôtel ne sera plus fixé uniquement par le vendeur. L'acheteur va pouvoir fixer ses conditions : "Je veux aller de tel endroit à tel autre, mais pour tel prix maximum ; et je suis prêt à dépenser telle somme pour une nuit d'hôtel." Ce système appelé d'"enchères inversées" existe déjà. Il va se généraliser grâce à la rapidité et à la gratuité des flux d'informations.
La société est-elle prête à tant de bouleversements ?
L'accélération des innovations technologiques va accroître, dans dix à quinze ans, le fossé entre générations. Actuellement, coexistent déjà cinq générations dont chacune a une approche différente des nouvelles technologies et des objets informatiques et électroniques.
Grâce à ces nouveaux outils, les jeunes qui ont entre 15 et 20 ans peuvent pour la première fois échanger avec leurs pairs — chercher ou propager de l'information, tisser des relations sociales — sans que leurs aînés aient la moindre connaissance de ce qu'ils font. A l'avenir, tout cela va changer profondément les relations entre générations dans la société.



<< Home

This page is powered by Blogger. Isn't yours?